dimanche, mai 20, 2007

Roncevaux --> Zubiri

Un peu après avoir commencé à marcher, un orage éclate. La pluie commence à tomber et nous étrennons joyeusement nos ponchos antipluie, nous marchons dans les flaques d'eau. Autour de nous le décor est charmant, la lumière rasante du soleil prête ses ors aux paysages. Les bourgeons au bout des branches des arbustes sont d'un vert phosphorescent et balisent le chemin. Des boutons d'or sur le bas-côté tournent leurs pétales vers le haut, comme s'il étaient impatients de recevoir l'onction céleste.
Mon esprit lui aussi bourdonne. J'essaye de concentrer pour me charger de la beauté de la scène comme une abeille prélèverait le nectar des fleurs pour le consommer plus tard. Au chapitre de ce soir, j'imagine de longue digressions botaniques. Hélas, il faudrait que je sâche les noms des plantes qui m'entourent et je suis inculte !




Dès que le soleil revient, l'état de grâce cesse. Les pèlerins qui s'étaient réfugiés dans les bars sortent de leur trous, affluent à nouveau sur le chemin. Entre la parenthèse de deux pèlerins qui braillent, Cris et moi traversons des moments délicieux, mais l'ironie est mordante. Moi, qui voulais échapper aux bouchons, je me retrouve empêtré à nouveau dans une autre forme d'encombrement ; on a simplement remplacé les macarons : « Attention, bébé à bord » par des coquilles Saint-Jacques. Sous la pression des pélerins, nous devons nous déplacer rapidement sous peine de ne plus avoir de place dans les refuges.
La massification a des conséquences désastreuses pour la liberté, comment échapper au panurgisme désespérant de la peur. Il faut désormais être organisé, sinon on est un chien fou. Le monde est peuplé de maniaques qui ne peuvent s'endormir s'ils ne se sont pas brossés les dents, et s'il n'y a plus de papier dans les chiottes : comment fait-on ? Le pèlerinage est une conquête de plus pour cette humanité clinique. La sélection naturelle est devenue folle. Ceux qui ont le plus de chance de survie maintenant sont ceux qui ont les slips les plus blancs. La loi du plus fort est devenue maintenant la loi du plus docile.

Le soir, nous nous retrouvons dans un grand dortoir. Le supplice du ronflement reprend. A notre grand désepoir, un autre cochon a pris la relève. Cristina est tendue, elle a peur d'avoir froid, une fille claustrophobe refuse qu'on ferme la porte, il en résulte un mini prise de bec. Je fais ma prière et je me prépare au martyr d'une nuit sonore. Rongeant mon frein dans le lit, il est impossible de se laisser aller à ses instincts naturels et d'étrangler le coupable. Alors, pour me contenir j'imagine qu'il s'agit d'un véritable porc grognant dans une litière de paille et de merde. Cette ruse psychologique me soulage, le grognement devient naturel et donc plus supportable. Cristina est prise d'un fou rire (nerveux) à l'idée de passer trente jours dans ces conditions, je lui dit mon secret et pour elle aussi la technique fonctionne.
Dans mon lit, j'ai une illumination philosophique : "la limite du supportable est en grande partie déterminée par notre définition du normal" en d'autres termes : la plupart de nos allergies sont surtout psychologiques.

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