mercredi, juin 06, 2007

Acebo--> Pontferrada

Nous descendons vers Pontferrada. Je suis à nouveau infecté par mes obsessions comptables : Combien de kilomètres, combien de jours jusqu'à Santiago ? à quelle heure faudra-t-il se lever demain, etc. J'aimerais ne plus savoir compter, mais je ne parviens pas à oublier, je fais des additions, des soustractions, des chiffres me courent après. Après ces quelques journées paisibles, la brutalité du monde nous rattrape.
Tout à l'heure, nous traversions un joli petit village à flanc de montagne et nous trempions les pieds dans la rivière, lorsqu'un pèlerin brésilien a déboulé à toute berzingue, il a dégainé son appareil photo, il a shooté le pont, puis il reprit sa course, chargé de nouvelles provisions pour son blog.

Quel monde de dingues !

Aux alentours de 13 h, nous parvenons à la méga-auberge de Pontferrada. Pour notre malheur, des retraités allemands qui ne parlent toujours pas un mot d'espagnol font les inscriptions. Ils sont déjà un peu gagas et ont bien du mal avec leur registre : il y en a un qui tient le tampon, l'autre qui écrit les noms et un autre qui encaisse. En dépit de cette organisation implacablement allemande, ça n'avance pas. Dans la queue, les gens s'impatientent, un gros allemand nous, pour nous adoucir, sert le thé. Les haut-parleurs diffusent une musique mièvre à base de flûte de Pan, même pour un auditoire habitué aux musiques de supermarché, c'est à la limite du supportable. En fait, l'auberge ressemble à une maison de retraite. J'ai envie de m'enfuir et de reprendre la route. Cristina insiste, elle veut absolument se reposer, ici.

Sous un soleil de plomb, nous visitons la ville. Nous entrons dans la cathédrale pour voir une exposition de circonstance : « L'histoire du pèlerinage de Saint-Jacques ». Comme à Burgos, les peintures sont des oeuvres de maniaques, Alien peut se rhabiller, le sang du Christ versé pour nous, pauvres mangeurs de pop-corn, s'étale en long en large et en travers. Sur un tableau, on voit même Saint-Jacques qui décapite un Maure!... Tu parles d'un saint ! L'exposition se termine par un film : sur fond de musique sirupeuse, un panégyrique défile sur le prompteur : Saint-Jacques pour se trouver soi-même, Saint-Jacques pour se rapprocher de Dieu, Saint-Jacques lave plus blanc, Saint-Jacques c'est bon : Mangez-en ! On nous promet un discount sur nos péchés contre un peu de marche à pied.

Au bout d'un long tunnel qui retrace toutes les étapes du chemin, je vois enfin la lumière, j'ai un haut-le-coeur une nausée. Dehors le soleil caillasse et en rajoute une couche, maintenant j'ai mal au crâne. Un distributeur de boisson à la sortie nous propose un article inédit : pour 1€70 on peut se payer une coquille Saint-Jacques pour mettre sur son sac à dos : Cool !

Saint-Jacques, Coca-Cola : même combat !

J'ai envie de vomir, je prends une glace à deux boules dans une boulangerie et puis je rentre à l'albergue. La tête basse, je franchis l'entrée et feins de ne pas voir la flopée d'Allemands qui rigolent bruyamment en chantant des chansons du pays. Je me cadenasse dans ma chambre. Je voudrais dormir, mais je n'y parviens pas. J'intime à mon coeur qui n'en peut plus : « Oh douleur, tient toi tranquille... »