dimanche, mai 27, 2007

Logroño--> Ventosa

Notre marche commence sous un joli ciel bleu, je suis en forme et je chante. Je joue le cabot pour montrer mon bonheur, je m'arrête sous les cinq mètres pour pisser. Cristina est un fatiguée, elle envisage dans un coup de déprime, de rentrer à Toulouse. Je la remotive en jouant l'animateur, j'invente des activités. Dans un premier exercice de relaxation, je lui propose de respirer à pleins poumons, il faut souffler tout son air jusqu'à être vide. A force d'avoir trop vécu, on ne sait plus combien nos poumons sont profonds. Ensuite, je deviens chaman et je l'invite à capter les énergies de la nature sous mes incantations. Nous composons des chansons de scouts et nous gueulons : « Que c'est dur d'être un pèlerin». Je me prends au jeu. Je ne sais pas où je vais, mais j'y vais.

Plus je chante fort et plus je me sens plus libre. En hypnose, la succession de mes pas m'emporte sous les eaux troubles de mes souvenirs. Mon imagination, secouée en rythme, se rapelle l'Espagne, telle que je l'ai connu dans mon enfance. Mes frères et moi, nous partions avec mes parents, traversant les Pyrénées de nuit, c'était un long voyage jusqu'à Valence, nous étions allongés dans le coffre de la voiture transformé en wagon-lit par un bricolage de mon père. Je revois la résidence où nous nous adonnions au bonheur souverain des vacances familiales. Je me souviens de la sangria qu'on servait avec la paëlla lors de la fête de bienvenue. Le gérant fumait son cigare l'air satisfait, il passait parmi les estivants, aux enfants, il donnait une tape dans le dos. Dans la piscine, au milieu des transats, j'ai fait mes premiers plongeons sous l'oeil émerveillé de ma mère. Pendant ce temps, sur le terrain de tennis, mon père échangeait quelques balles avec mon oncle. Avec mes frères on se battait pour notre tour autour de la table de ping-pong. La villa où nous passions nos vacances, était proche de la mer, on allait se baigner en suivant une route qui me semblait indiquer un horizon mystérieux. C'était une plage de galet, on avait mal au pied mais on courrait malgré tout. J'avais un masque de plongée et une épuisette, malgré cet équipement, durant les trois années où j'y suis retourné, je ne suis jamais parvenu qu'à attraper un crabe. Ma mère avait la phobie du coup de soleil et nous appelait pour nous mettre de la crème solaire. Quand on revenait de la plage, pour nous rincer du sel, mon père utilisait un tuyau d'arrosage, il nous poursuivait et nous courrions sur l'herbe grasse pour échapper au jet d'eau. Ca me chatouillait les pieds. A côté de la maison, il y avait une bambouseraie à droite, une oliveraie en face et une orangeraie à gauche. Dans les champs, la terre était si dure que je n'arrivais même pas à casser les mottes. Oui, Bon Dieu ! J'ai déjà vécu tout ça ! Il me semble que c'était une autre vie... J'étais un génie quand j'étais un enfant, je savais transformer le présent en éternité. Quelle farce de vieillir !

Lorsque nous arrivons à Ventosa, je suis abruti de ce rêve d'un autre temps.

Cristina veut prendre un verre. Au bar, tout le village s'est réuni pour l'apéro. Les vieux jouent aux cartes et regardent la télé, les jeunes jouent avec leur téléphone portable en buvant une bière. Moi, je mange une glace.

Nous nous dirigeons ensuite vers l'auberge, un couple d'allemands est installé sur la table du jardin en attendant l'ouverture. Je suis poli, mais l'homme ne répond pas à mon salut, car il est occupé à couper des rondelles de son saucisson.

Il me devient instantanément antipathique. Etait-ce parce qu'il avait négligé mon bonjour, ou bien était ce son nez porcin ou sa manière de déglutir le saucisson ? En tous les cas, je ne lui accordait pas le bénéfice du doute. Il y avait inscrit en gros sur son front : « Je suis une tête de con et je t'emmerde ».

J'étais sûr que le type que je venais de croiser ronflerait et qu'il m'empêcherait de dormir. J'étais prêt à l'accabler de tous les vices, tous les restes de mon intelligence animale m'indiquait qu'il fallait montrer les crocs à ce salaud. Je me trompe rarement en matière de têtes de cons. Je suis convaincu que c'est une sorte de loi du karma donne aux imbéciles leur tronches répugnante.

J'appréhendais l'heure d'aller au lit et j'avais raison. Lorsque les lumières se sont éteintes, le cochon a commencé à grogner. Sa technique léchée me confirmait que c'était un as de la luette : quand il inspirait, ça durait si longtemps qu'on croyait qu'il ravalait plusieurs litres de morve dans son aspiration, on avait même l'illusion qu'il se bouffait les tripes. Dans l'autre mouvement, il se dégonflait comme un gros plein de soupe, il sifflait comme une baudruche. Pour calmer mes nerfs, je bouffais ma couverture, j'avais envie de saigner ce gros lard. J'étais à bloc : "Je le savais, je le savais !"

Cristina eut une initiative salutaire, elle prit son matelas sous le bras et partit s'installer dans la cuisine. Elle débrancha la machine à café, enleva les piles de l'horloge pour ne plus entendre le tic-tac dont elle avait la phobie. Je la rejoignis un peu plus tard dans l'alcôve déjà chaude. Je remerciais le ciel d'avoir une femme si pratique et dormis paisiblement le reste de la nuit.