jeudi, mai 24, 2007

Etrella-->Villamayor de monjardin

Sans ronfleurs ni lumières, la nuit fut céleste. Je me réveille encore plein de la jouissance du sommeil, mes muscles sont lourds, mon corps insiste de tout son poids pour dire au matelas combien il l'aime. J'ai l'impression d'avoir rêvé en une nuit ce qu'on rêve en une semaine. Le devoir pourtant nous appelle et nous enfilons, résignés, nos chaussures.


Aujourd'hui, nous faisons une étape réduite, c'est-à-dire que nous ne marchons qu'une dizaine de kilomètres. Les paysages changent encore, des bosquets d'arbustes nains aux feuilles grasses alternent avec des champs de blé jaunissants aux coquelicots épars. Les odeurs de thym, de terre rouge et de pierres sèches rappellent la méditerranée pas si lointaine.

Villamayor de Montjardin est notre destination. Dans d'excellentes dispositions physiques et mentales, je dois néanmoins lutter contre le stress. La panique du couchage m'a contaminé et je veux moi aussi arriver à l'heure.
J'essaye de renouveler l'exercice de la lenteur. Je discute un peu de philosophie avec Cris, mais nos conversations sont académiques et laborieuse, j'ai l'impression de manquer l'essentiel. J'ai besoin d'un peu de solitude.
Sur le chemin nous rencontrons un vieillard en train de ramasser des haricots, il a le pantalon bien remonté et les dents démontées, assis sur un banc en train de reprendre notre souffle, il lie conversation avec nous, son sourire bonhomme nous fait du bien au milieu de ces pèlerins qui crapahutent comme s'ils allaient manquer un train. Il se nomme Pablito et c'est un aficionado du Camino, il le fit quelques fois quand il était jeune. Maintenant il pour s'occuper, il joue au coach et délivre ses bons conseils à ceux qui veulent bien les entendre. Il nous propose d'apposer son sceau sur notre crédential et nous invite dans sa maison. Il a réalisé lui même le tampon et il s'enorgueillit de figurer dans beaucoup de guides.
Nous entrainant, derrière sa maison, , il nous montre un tas de calebasses sèches et nous propose d'en choisir une. Symbole du Camino, ces calebasses faisaient office de gourdes au temps de templiers. Il nous fournit ensuite le reste de l'équipement : la coquille et le bâton de pèlerin. Il nous enseigne comment on se sert du bâton pour marcher.
Puis, il nous montre ensuite une stèle qu'il a rapportée dans son jardin, après nous avoir laissé quelques instants bouche bée, il nous annonce fièrement qu'il s'agit d'une pierre des templiers. Déroulant sa mise en scène bien rodée, il poursuit et nous désigne un amandier qui ressemble à un éléphant, il rit, disant que parfois la nature a de l'humour.

Il nous avoue cependant qu'il n'a pas beaucoup de succès avec son sceau, les pèlerins s'arrête de moins en moins, affirmant qu'il n'ont plus le temps, à l'image du monde, ils ne savent plus vivre. Il ne jette la faute à personne, mais il croit que c'est l'argent qui a rendu le monde fou. Il dit qu'on était plus heureux et plus généreux avant, quand on était pauvre. On devrait faire des petits frères aux enfants plutôt que de leur acheter une game-boy. Avant de partir, il nous prie de surtout penser à être heureux dans cette vie, avec une prescription étrangement pratique : il vaut mieux être mauvais ouvrier que de ne pas être heureux. Rien n'aura jamais de saveur, si l'on ne remplit pas ce devoir essentiel.



Arrivés à Villamayor, nous posons nos sacs, un pèlerin français jeune retraité est déjà là. L'homme fait le guet, soucieux de garder sa place. Il me demande de placer mon sac à dos derrière le sien pour commencer ainsi une queue imaginaire. Merde ! que je me dit, « encore un con ! Cafard de supermarché dans toute sa splendeur, trou du cul intégral » Je lui rappelle que l'esprit pèlerin ne distingue pas les premiers et les derniers. Le type s'accorde avec un empressement de lèche-cul « Bien sûr ! Sinon on reste chez soi »

« Pauvre type ! Employé de merde ! » Il a surement passé toute sa vie à avoir peur d'être viré, maintenant débarassé de cette angoisse, il continue d'avoir peur parce qu'il ne sait faire que ça. Je tartine mentalement cet enfoiré avec toute sorte d'insultes, mais cela ne me décharge pas de ma haine. Il mériterait juste mon poing dans sa gueule, Dieu me pardonnerait surement de ratatiner encore un peu sa petitesse.

Je prends mes distances et laisse ce triste sire à sa resucée. J'escalade la montagne à côté du village en marchant avec entrain, je respire l'odeur des pins d'aleph et bientôt je n'entends même plus le grondement de l'autoroute qui traverse la vallée. Je m'arrête seulement au sommet, auprès d'un château qui sert de tombeau à un illustre templier. Je m'éloigne du sentier et rentre dans la forêt, je prends la position du lotus et je contemple.

Tout est si beau que je ne sais bientôt plus, ni le commencement, ni la fin du bonheur qui m'envahit. Je croque un morceau d'éternité, entier. Je n'oublierai pas ce moment-là. Mes sens sont si saturés, qu'il ne devient plus nécessaire de garder les yeux ouvert, il me reste encore tellement : le bruit du vent, l'odeur de pins. Je sens encore les rayons du soleil qui infiltrent leur caresse au fond de la terre . Des racines me poussent et je me fige, je médite pendant une heure. Je suis comme une éponge, j'écoute le monde qui vit pour moi. J'apprends mon union profonde avec la terre, l'insignifiance de ma personne et celle de ma vie.

La beauté est primordiale, le désir est secondaire.