samedi, juin 02, 2007

Léon-->Villar de Mazarife

Bien que nous n'ayons pas marché hier, la fatigue ne nous a pas totalement quittés. Il a fallu vaincre une grande lassitude au démarrage avant de pouvoir nous remettre en train. L'idée du retour nous a donné des forces pour aller encore en avant, avant... On rêve de Toulouse pour se faire du bien et au bout du tunnel on voit notre petit confort. Je m'imagine en train de planter des punaises dans la carte des chiottes et puis dire crânement « je l'ai fait !».

Je sens que la philosophie du chemin m'échappe, l'épuisement a raison de moi. Le Camino est un acte de présence, il apprend à ne pas se projeter ni dans le futur, ni dans le passé. Je veux mon lit à Toulouse et j'ai hâte de mettre un point final à cette aventure. Je veux boucler mon histoire, je sais que j'ai tort, trop intellectuel sans doute, je n'intègre pas que la fin ne vaut pas la route.

Passé Léon, une sorte de pampa remplace les champs de blé, des précieux tapis de fleurs s'étalent jusqu'à l'horizon, et dans l'herbe sèche, des marguerites généreuses débordent de pétales malgré le sol aride. Des genêts et des ajoncs sont éparpillés sur ces terrains délaissés de l'agriculture, paradoxalement, il se dégage de ces paysages un certain urbanisme, les chiens sauvages qui y ont élu domicile ne s'y sont pas trompés. Des arbustes font quelques racines, ici et là, ils restent malingres et très peu s'élèvent suffisamment pour nous faire de l'ombre, la terre est trop dure.

En fin de matinée, nous atteignons Villar de Mazarife, notre destination. Un homme assis tient le registre, la cinquantaine, il étale sa jambe qui lui fait mal, en prenant nos noms, il est très hâbleur et accueillant, il nous présente son auberge. L'endroit nous plaît et je savoure déjà le repos de cette nuit. C'est alors que je me rends compte que je n'ai plus d'argent sur moi et que je ne peux payer la nuit, mais Miguel nous offre le gîte, il insiste pour que nous soyons ses hôtes et gratuitement, il nous enjoint à manger la paëlla.

Il parle, il parle, surtout à Cristina, probablement usé du défilé de tous ces étrangers, il est trop heureux de voir deux hispanophones pour les laisser s'éloigner sans discuter un peu. On écoute un peu ses digressions, faisant le plein d'anecdotes, les gens des refuges ont toujours plein d'histoires à raconter. Il nous parle du gars qui prépare le repas, il paraît que c'est un toucheux. Cristina, qu'a mal au dos veut bien essayer.

Après, m’être reposé, j'ai vagabondé dans les rues du village, mais ce ne sont que quelques maisons. J'ai poursuivi, quittant le hameau, je me suis installé dans une prairie en face d'un étang et j'ai recommencé à méditer.

J'ai ressenti la joie du soleil et la puissance de la terre, l'exultation des fleurs à l'arrivée de l'été, la solitude du vent. Sans mots, je me suis laissé aller, il n'est rien d'explicable, le bonheur est une connaissance immédiate.

Il est à la fois simple et difficile de définir la méditation, car c'est un peu comme de décrire le bonheur. D'une part, il est possible de partager la satisfaction que l'on en tire, mais d'un autre côté son insouciance et sa liberté sont sans contours. En accédant à ce qui n'est ni comptable, ni rationnel, elle s'appuie à la fois sur la réflexion et sur les sensations. Elle ne sert pas à comprendre le monde d'une manière intellectuelle, mais elle permet d'en savoir l'harmonie rien qu'en contemplant et en ressentant.

Dans la méditation, il suffit de suivre des guides, il suffit d'assumer le risque de passer pour un mystique et c'est suffisant. S'asseoir et laisser son esprit à sa curiosité, nos eaux dormantes ont tôt fait de se réveiller et commence à questionner dès l'instant où elles le peuvent. Il n'est pas de meilleur endroit que la nature pour la méditation, sa nature fractale rend bien compte de notre incapacité à tout intégrer. On peut tout aussi bien s'attacher à observer les montagnes au loin que chercher le détail dans une plante minuscule, nous sommes capables d'en dégager un intérêt égal. Une montagne est aussi riche qu'une fleur pour celui qui sait observer, le fait qu'une montagne est un millirad de fois plus énorme n'y change rien, cela permet de comprendre qu'on ne sait rien. C'est un premier grand pas vers la philosophie.

Dans le calme, nos réflexions se ramifient naturellement en une imagination indomptable qui s'enquiert de tout et apprend comme elle respire. Tout est sujet à méditation, la pensée est le démarreur, la contemplation est l'orbiteur. Par exemple, j'ai compris certaines leçons rien qu'en observant les fleurs. Une couleur et un parfum suffisaient à définir une fleur, j'aime voir des champs de fleurs, mais leur individualité ne constitue pas leur essence. Conséquemment, aimer un homme, c'est aimer l'humanité. Si j'applique ce raisonnement à moi même, c'est-à-dire si j'admets que je suis inintéressant en tant qu'individu, alors je grandis dans mon humilité et dans ma connaissance du monde. Ceci, sans avoir lu un seul livre, ni même discuté, j'ai beaucoup appris. La philosophie qui vient de la méditation est une jouissance si pure, qu'elle interroge même sur tous les développements qu'a eus la philosophie après l'invention de l'imprimerie.