lundi, mai 21, 2007

Zubiri --> Pampelune

Progressivement, notre marche se désynchronise du rythme des autres pèlerins. Je me sens plus libre. Cristina m'apprend l'exercice de la lenteur. Elle vient de le lire dans un livre de Paolo Coello, le Pélerin de Compostelle. L'exercice consiste à marcher deux fois plus lentement, en multiplier son attention. Nous laissons les gens nous dépasser pour nous abandonner entièrement au foisonnement des sens. Cet exercice n'est pas aussi simple qu'il y paraît, lorsque je ralentis, je lutte contre une peur irrationnelle qui monte en moi : j'ai peur d'être en retard et de ne pas trouver un gîte pour dormir pendant la nuit, rien pourtant ne justifie cette crainte, inconsciemment cet exercice me semble de plus en plus stupide à mesure que nous nous faisons dépasser, je me pose la question "Pourquoi ne pas faire comme les autres ?" alors que je devrais me demander exactement l'inverse : "Pourquoi faire comme les autres ?"



Pour dilater le temps, nous devons réapprendre à marcher comme des enfants, observer en se laissant distraire par les papillons, être insouciants et indisciplinés. Si l'on a peur du temps qui passe et que l'on craint de mourir trop vite, on n'a aucune chance de savoir jouer. Il faut gaspiller le temps comme s'il y en avait trop. Je me souviens de mes matinées d'écolier, à onze heure j'attendait l'heure de la récré, à chaque fois que je regardais l'horloge, l'aiguille n'avançaient pas et trois minutes semblaient durer une éternité.





Le temps est une perception qu'on peut contrôler en nous ancrant dans l'instant présent, nous ressentons alors la vie sous sa forme la plus pure. S'enquérir des fleurs, de leur parfum, s'abrutir du rythme de nos pieds, du bruit du vent, de la forme des nuages et aller indéfiniment, filer droit là où le vent nous porte, délaissant les certitudes (elles n'ont aucun intérêt). En suivant cette voie nous aurons une vie suffisante : ni trop courte, ni trop longue. Comment en serait-il autrement, si le futur et le passé ne valent plus rien ?



Les enfants sont des modèles à suivre, ils irritent leur mère parce qu'ils avancent à leur rythme, parfois comme des escargots, parfois détalant comme des lièvres. Ils traînent les pieds en marchant parce que ça fait un bruit rigolo, ils s'arrêtent pour observer une fourmi qui traine une feuille, escaladent les barrières et les arbres au bord du chemin de l'école. Il n'importe pas se rendre d'un point à un autre, pour celui qui a tout à apprendre, il est préférable de jouer, ils ne pensent pas en terme d'objectifs.
Le passage à l'âge adulte nous réduit progressivement à un ensemble de fonctions déterminées par des objectifs : élever ses enfants, payer sa maison, gérer les affaires courantes. Cela marque également un changement de perspective vis-à-vis du temps. Dès lors que l'on raisonne en terme d'objectifs, le temps ne possède plus de sens...

Mais Pampelune déjà se profile, en allant lentement, le temps est passé très vite. Iruña (Pampelune en basque) et première grande ville sur notre route, c'est la capitale de la Navarre et son passé est chargé d'histoire. Pampelune possède un charme assez coquet. Sa fortification, ses maisons peintes en couleur vive et même les Basques (en train de s'affronter avec la police) participent du pittoresque du lieu.

Le soir, nous arrivons au refuge. Il y a la queue dehors, nos prédécesseurs nous expliquent en riant que l'accueil est personnalisé. Nos hôtes sont un couple d'allemand fraichement débarqué en Espagne pour jouer le rôle d'hospitaleros. Quand vient notre tour, nous découvrons nos étranges hôtes. L'homme a des faux airs de nain de jardin, les pommettes bien rouge et l'air franchement rigolard, il se gargarize derrière son bureau en nous voyant entrer : Zer gut, zer gut... Sa femme, à ses côté, nous propose des rafraichissement et des gâteaux typique de son pays. Sans parler un seul mot d'espagnol et sans que nous ne sachions un seul mot d'allemand, l'homme en question parvient à nous entretenir pendant quinze minutes à propos de nos noms et de nos numéros de passeport. Le bonhomme répéte plusieurs fois chacun de nos prénoms : « Cristina... ahhh Critina.. zer gut... ». On se croirait dans un fil de de Funès. Sa femme nous conduit dans notre cellule, tout est impeccable. Il règne dans le refuge une ambiance hilare et presque rien n'est sérieux.

Nous faisons la connaissance d'Aurelia et de Gorgio, un couple bourlingueur qui vit en organisant des randonnées à Teneriffe. Ils parlent chacun cinq langues : Allemand, Italien, Anglais, Francais et Espagnol ; ils nous laissent le choix. Affables et généreux, nous discutons un bon moment, leur vie respire l'aventure, nous rêvons avec eux de terminer dans une terre lointaine à vendre des T-Shirt sous le soleil. Il semble bon de vivre sans regrets, toutefois leur déracinement ultime se paie contre un peu de solitude.