Après un repas frugal, suivant l'inertie de la discipline, nous sommes allés de bonne heure au lit. Cependant, pour beaucoup d'autres, la veillée ne fût pas ordinaire. En effet, une partie des pèlerins avaient beaucoup bu pour célébrer l'arrivée proche. Pour notre dernière nuit, la communauté des pèlerins a préparé une sorte de show en notre honneur, ainsi nous conserverons une image vivace du pèlerinage.
Dans notre lit, nous prenions sans le savoir nos places pour un spectacle. Comme dans tout spectacle, les choses ont commencé dès que la lumière s'est éteinte. A la porte, chaque fois qu'elle s'ouvrait, découvrait un nouveau numéro : D'abord un Espagnol paru dans l'entrejour, il était imbibé d'alcool. Visiblement très content de l'être, il nous fit savoir qu'il avait bien bu en émettant un rot conséquent. Les gens bien élevés, carrés dans leur lits cherchant le sommeil, feignirent de n'avoir rien entendu. Mais l'homme était déçu de son flop et non content de n'avoir pas suscité l'indignation dans le dortoir, poursuivit en lâchant un pet énorme et bien gras. Cette fois-ci, il obtint satisfaction, une femme l'insulta : « Espèce de cochon ». Content de son outrage, il rit bien fort puis tituba jusqu'à son lit. Quelques olibrius défilèrent encore, répétant plus ou moins la même scène. Mais le clou du spectacle restait à venir !
Plus tard, alors que nous dormions déjà, une grande fille slave a débarqué comme une brute, elle était bourrée comme une vache, et son chemin n'allait plus du tout droit ! Par comble de chance ou de malchance. Elle s'est installée dans le lit juste au bas du mien et a commencé à parler toute seule, l'affaire durait tout de même une bonne vingtaine de minutes. J'étais résolument sobre, ne voulant pas envenimer la situation en faisant la moral à une fille bourrée qui ne parlait pas ma langue, j'ai donc pris mon mal en patience. Mais la sotte s'est mise à pleurer, il a fallu qu'elle pisse son vin, se déplaçant avec la grâce des ivrognes, qu'elle insulte son monde, etc. Décidement , cette nuit fut mémorable !
Quand nous rentrons dans Santiago, il pleut des cordes. Une dernière fois nous enfilons nos parka pour nous préserver de l'eau.
C'est fini !
J'essaye de me rappeler mes sublimes méditations, mes solitudes ensoleillées, je les protège tant que je peux, mais la ville ne fait pas grand cas de ma fragile paix. Nous déposons nos sacs dans une pension et nous acquittons d'une sieste bien méritée pour clore nos exploits. Classiquement, nous nous rendons à la cathédrale afin de bénéficier de la réduction promise sur nos péchés : les confesseurs officient dans des petits guichets, j'ai l'impression comique d'être à la Poste. Je ne suis sans doute qu'un impertinent irréligieux qui plus est irepentant, mais c'est d'un comique irrésistible.
Un petit passage me permet d'accéder au Saint Sépulcre, Saint Jacques est là, en bas, dans sa boite. De pieuses personne à genoux prient devant lui, invoquant sans doute une guérison miraculeuse, je ne me sens pas bien. Je n'ose pas rentrer dans le saint sépulcre, l'endroit est étouffant de piété. La religion : ce trompe mort !
En sortant de l'église, je me distrais chez les marchands du temple et résiste avec peine à l'envie de m'acheter une boule qui fait de la neige sur la cathédrale de Santiago.